En Centrafrique, la bière Castel au cœur de la guerre d’influence entre Paris et Moscou

AFP / BARBARA DEBOUT 

Après l’incendie criminel de la brasserie Mocaf, des sources accusent le Groupe Wagner, tandis que des médias pro-russes évoquent des « mercenaires » payés par la France.

Dans la nuit du 5 au 6 mars à Bangui, les caméras de surveillance filment quatre hommes masqués en tenues similaires à celles des mercenaires russes du Groupe Wagner, jetant des cocktails Molotov sur la brasserie Mocaf, du géant français de l’alcool Castel. Et ce trois mois après qu’un colis piégé a blessé dans la capitale le « conseiller culturel » russe Dmitri Syty, « un des piliers du système Wagner en Centrafrique », selon le collectif international d’enquête All Eyes on Wagner. Attentat dont le chef de cette société privée de sécurité, Evguéni Prigojine, très proche de Vladimir Poutine, accuse la France. Qui dément et parle de « propagande ».

La guerre d’influence franco-russe en Centrafrique, pays parmi les plus pauvres du monde en guerre civile depuis près de dix ans, était jusqu’alors circonscrite à des trolls massifs sur les réseaux sociaux. Elle se déplace sur un terrain dangereux. D’autant que Bangui, aux relations des plus exécrables avec l’ancienne puissance coloniale, multiplie les gestes d’apaisement, dont une rencontre début mars entre les deux présidents, Emmanuel Macron et Faustin-Touadéra. « Les Russes s’inquiètent d’un possible rapprochement de Touadéra avec les Occidentaux et vont le plus loin possible pour empêcher une réconciliation », analyse pour l’AFP Roland Marchal, chercheur à Sciences Po Paris et spécialiste de l’Afrique.

Les campagnes d’accusations réciproques entre Paris et Moscou en Centrafrique font rage depuis 2018, à telle enseigne que Facebook a supprimé en décembre 2020 des usines à trolls et autres supports d’« infox » administrés par la galaxie Prigojine ; mais aussi, selon elle, certains comptes liés à l’armée française, dont les derniers soldats ont quitté le pays le 15 décembre après soixante-deux ans de présence depuis l’indépendance.

La cible idéale

La vidéo de l’attaque de la brasserie, virale sur les réseaux sociaux et authentifiée par la Mocaf pour l’AFP, est un nouveau vecteur de cette guerre d’influence. Castel est une cible idéale, puisqu’elle fait l’objet d’une enquête préliminaire de la justice antiterroriste française pour « complicité de crimes de guerre », via un présumé « arrangement financier » avec des rebelles pour la sécurisation des installations d’une autre filiale, la Sucaf. Depuis janvier, la Mocaf, inaugurée en 1953 et l’un des plus gros employeurs du pays, était la cible de campagnes de dénigrement et menaces, dans la rue et sur Internet. « Castel c’est la mort », « Si vous achetez Castel, vous payez votre meurtre », lisait-on sur les pancartes d’une vingtaine de manifestants devant la brasserie mi-janvier. « Castel = Terroriste », proclamaient ailleurs des affichettes.

« L’incendie a été le point d’orgue, mais il y a eu une tentative d’intrusion avant », détaille à l’AFP un cadre anonyme de Castel en France : « Le 30 janvier, pendant le couvre-feu, trois hommes blancs sortent d’un véhicule banalisé et s’approchent avec une échelle avant d’être mis en fuite par la sécurité. La même soirée, un drone survole la brasserie. » L’incendie criminel, « c’était une action commanditée, une attaque éclair », « cinq minutes au total », observe Ben Wilson Ngassan, consultant en communication de la Mocaf, qui a dénombré le jet « d’une trentaine de cocktails Molotov ». Les treillis, la Kalachnikov dans le dos, les attitudes, les silhouettes et « carrures assez athlétiques »… Même si leurs visages n’apparaissent pas, une source européenne proche du dossier s’est fait une religion avec la vidéo : ce sont des Wagner.

LRC AVEC AFP

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